18 avr. 2015

Famine


La faim me tenaillait, insupportable.

Tout mon corps tremblait et, chancelante, je trébuchai, une main crispée sur mon estomac, l’autre sur un genou, comme pour essayer de me redresser. Mes griffes se plantèrent profondément dans la chair mais la douleur ne me fit pas oublier la sensation de famine qui me lacérait les entrailles.

Affamée, je n’avais qu’une envie : crever, crever une bonne fois pour toute pour ne plus souffrir.

Je me laissai glisser le long du mur de briques, je me recroquevillai dans la pénombre de la ruelle. Les lueurs crépusculaires, chatoyantes, se reflétaient sur les parois sans parvenir à réchauffer mon âme. Un feulement poussif assécha ma gorge, et il me tardait que la touffeur de l’été disparût. Au moins, en hiver, les clochards de mon espèce se faisaient plus rares : ils agonisaient sous les ponts et moi, sous ma forme animale, je pouvais me payer les restes. Ma fourrure, si miteuse fût-elle, savait me tenir chaud et les ténèbres quasi-constantes n’incommodaient en rien ma vision féline.

Oui, me tardait l’hiver et son éternelle obscurité. Si je survivais jusque-là.

Et rien n’était moins sûr.

Car l’harassante canicule des jours sans fin desséchait puits et carcasses, calcinait les récoltes, pourrissait les vivres. Les rares pluies, acides, brûlaient la peau et achevaient le bétail.

Car la famine ne me laissait aucun répit, me plongeait dans une somnolence dolente, me vidait de mes forces. Prostrée dans le dédale purulent des quartiers mal famés, je me laissais bercer par l’haleine fétide du désespoir.

13 avr. 2015

Disloquée...

Les cadavres sous le caniard, disloqués sur le macadam,
Murmurent leurs états d'âmes en attendant les charognards.

7 avr. 2015

Dévisager vos visages


Vos bouilles me sont familières.

Là, je vous croise au détour d’une rue, d’un bar, vous êtes souvent de la même tranche d’âge. Un sourire, une expression, et soudain, une impression de déjà-vu m’assaille. Pourtant, j’ai beau me creuser la tête, rien ne vient : nous sommes d’horizons trop différents, vos noms m’échappent que trop et il faut se rendre à l’évidence : nous nous sommes jamais croisés. Le monde est peut-être petit, ma mémoire l’est moins et, en toute franchise, ma vie d’ermite ne m’a certainement pas donné l’occasion de vous croiser par le passé.

Alors pourquoi vos minois me sont-ils si familiers ?
Pourquoi appellent-ils tant à la réminiscence ?

Je creuse, je creuse encore dans mes souvenirs, je les effleure, je récapitule, acharnée. Pas pour vous chercher vous, inconnus, mais là, votre doublon, votre sosie, le détail ou la caractéristique qui, invraisemblablement, vous lie à un autre, une connaissance lointaine. Parfois, c’est la façon dont votre sourire s’étire dans vos yeux. D’autres, le rebondi délicieux de vos joues quand vous boudez ou encore le froncement de vos sourcils qui assombri si bien le regard.

Il suffit d’un rien, parfois, pour se sentir chez soi.


« Des visages, des figures
Dévisagent, défigurent
Des figurants à effacer
Des faces A, des faces B

Appâts feutrés
Attrait des formes
Déforment, altèrent
Malentendu entre les tours
Et c'est le fou
Qui était pour... »


 Des visages, des figures — Noir Désir