9 nov. 2014

Electrum


Ce fut la première chose qu’Oriane remarqua en chassant la poussière d’un geste prudent : les arabesques sur le sarcophage qui scintillaient délicatement à la lueur de la torche. Les flammes dansaient sur l’électrum pour faire honneur au défunt.

— L’endroit est intact, s’émerveilla-t-elle.

À des centaines de mètres sous terre, la chaleur était presqu’intenable. Mais l’ampleur de la découverte rendait les désagréments ridicules. Thomas pénétra à son tour dans la pièce et s’empressa de prendre des notes, tout en marmonnant tout un tas de choses probablement fascinantes. Le reste de l’équipe marquait consciencieusement le chemin pour permettre au reste des chercheurs de les retrouver au plus vite.

— Allez, au travail, Oriane, souffla-t-elle pour elle seule.

Elle pria Thomas d’arrêter de gigoter et de ne pas l’approcher, puis elle ôta ses chaussures et s’assit dans le tombeau, ouvrant son esprit à un autre temps, cherchant un maigre flux d’énergie qui permettrait à son esprit de voyager, d’en apprendre plus. Parce ce que c’était son métier : Oriane explorait aussi les méandres du temps quand les voiles des époques s’estompaient sur les sites inviolés et les lieux de cultes.

La pierre l’emmena dans les carrières, sous le soleil de plomb. Les manuscrits les transportèrent dans les marécages du delta du Nil, parmi les papyrus luxuriants. La momie elle-même l’emporta auprès du défunt lors du rituel fascinant – quoi que peu ragoutant – de l’embaumement de la dépouille. Elle puisa ainsi dans chaque objet, chacun menant à un filon de vestiges, de souvenirs, de savoirs.
L’électrum lui conta l’histoire d’une femme aimante et bénie des dieux, qui laissait ses bijoux aux artisans pour qu’ils puissent être fondus et incorporés aux ornements du sarcophage. Ce dernier hommage laissa à Oriane un sentiment d’infinie tendresse, un sentiment si frappant qu’elle quitta instantanément sa transe.

Du bout des doigts, elle effleura encore le métal chaud dans la moiteur du tombeau. Un sourire naquit sur ses lèvres.

— Que se passe-t-il ? l’interrogea Thomas, intrigué.
— Je crois que l’électrum a de très jolies choses à me raconter, répondit-elle à voix basse, respectueuse.

Et elle remonta le fil des souvenirs de l’alliage, impatiente d’en découvrir plus.

Petit texte pour un défi "un jour, un mot".
Je pense que j'exploiterai le contexte de façon plus approfondie plus tard !

15 avr. 2014

Souffle


Le vent souffle et murmure, 
Valse encore et perdure,
La brise tournoie et s'emmêle, 
Suave danse perpétuelle.

(Août 2012)

28 mars 2014

Syrine

Le regard de Sean se glissa sur les courbes enchanteresses de la danseuse, sa peau tannée, son regard de braise ensorcelant sous ses longs cils noirs. Chaque pas de cette ronde voluptueuse s'accompagnait du son délicat du tambourin. Chaque mouvement se joignait de l'ombre lascive des voiles qui dansaient derrière elle sous le joug de la brise. Les lumières tamisées des flammes la grandissaient, harpie impérieuse aux longues boucles d'ébènes. Et en dépit des couleurs chatoyantes, de son incandescente beauté, un souffle froid suintait sur ses lèvres.

Il déglutit.

— Te laisserais-tu ensorceler ? souffla Jude à son oreille, d'une voix indécente.

Sean fronça les sourcils et poussa son amie d'une bourrade agacée, sans détacher une seule fois son regard de la femme-oiseau. La taquinerie franchit ses lèvres passivement :

— Serais-tu jalouse ?

Sur scène, Syrine ondoyait, ses pieds nus remuant la terre, la lueur des braséros étincelant sur le moindre de ses bracelets qui tintaient en rythme, glissaient sur sa peau. En transe, elle virevolta et les tissus légers qui tombaient depuis ses hanches, tourbillonnèrent. Danse brûlante, danse de la terre à la fluidité des rus, elle semblait s'accorder en tous points avec les éléments, avec la nature. Et dans un final aux allures dramatiques, elle se laissa tomber, genoux et mains dans la terre battue, tissus et longues mèches d'ébène jonchées de plumes éparpillées autour d'elle dans une corolle sensuelle.

Tonnerre d'applaudissements.

Encore un extrait pour Entrelacs.
Syrine et sa sœur, Nailah, sont probablement les plus sensuels de tous mes personnages et j'ai bien du travail, encore, pour rendre cela par écrit ! Cette scène est donc davantage un essai dans ce registre qu'autre chose, où j'essaie de retranscrire cette beauté.
 

9 mars 2014

Solitude

Le bruit de la porte qui se refermait sur Damon sembla résonner de longues minutes dans l’esprit d’Eileen. L’appartement, soudain désert et silencieux, ne reflétait plus que sa propre solitude. Immobile, elle laissait ce sentiment vide s’exprimer en elle ; ne pas penser, ne pas s’apitoyer, ne rien prévoir, juste laisser les échos se répercuter dans le néant, juste se laisser aller à cet état second.

Les couleurs de la pièce ternirent, le côté accueillant et chaleureux du petit salon laissant peu à peu place à une grisaille atone. Les photos sur les murs n’étaient plus que de lointains souvenirs, qui dansaient paisiblement, douloureusement dans son esprit.

Le triste constat s’imposa à elle : très vite, elle se sentirait pitoyable. Elle plongerait dans cet abysse de chagrin, se noierait dans sa peine, étoufferait de désespoir. Le manque la consumerait en une lente agonie, la solitude éparpillerait son âme, anéantissant sa confiance en elle. Elle se recroquevilla un peu plus sur le canapé, laissa quelques larmes silencieuses creuser des sillons salés sur ses joues. Là aussi, le changement viendrait très vite ; la peine silencieuse allait peu à peu se muer en sanglots dévastateurs.

Et dans un futur plus lointain, elle surpasserait le stade d’épave. Lentement, elle se remettrait à penser à elle, à continuer à vivre. Lentement, elle remonterait la pente, seule, à la force de sa propre volonté. Car, enfin, elle aurait oublié quels étaient ces magnifiques sentiments.

Seule reste la solitude, quand on a oublié à quoi ressemble le bonheur.